La planification environnementale, entre archétype et prototype des mutations du droit public
La compréhension de la planification en tant qu’objet de droit est un enjeu fondamental pour l’amélioration des politiques de protection de l’environnement. Au-delà de son omniprésence dans le droit contemporain, la planification environnementale se présente désormais comme un impératif : les risques engendrés par le dépassement des limites planétaires imposent la réduction durable de la pression exercée par les activités humaines sur la biosphère. Au niveau national, cette ambition se traduit par la production et la mise à jour régulières de « documents de planification », chargés d’organiser – à moyen ou à long terme – la sauvegarde du milieu naturel (schéma de cohérence écologique) et de ses ressources (plan de gestion des poissons migrateurs, schéma de gestion cynégétique), la protection du paysage (chartes de parcs naturels régionaux et de parcs nationaux) ou encore la prévention des risques (plan de gestion des risques d’inondation), des nuisances (plan d’exposition au bruit), et des pollutions (programme local de prévention des déchets ménagers et assimilés).
Or, si elle est institutionnalisée en France depuis la fin des années 1960, cette pratique demeure entourée d’ambiguïtés : notion polysémique qui ne fait l’objet d’aucune définition juridique, elle se caractérise dès lors par son hétérogénéité, tant à l’égard des procédures qu’elle mobilise que des effets qu’elle produit. Dans le cadre d’une analyse théorique, une telle diversité dans le fonctionnement des documents de planification environnementale apparaît toutefois opportune, en ce qu’elle témoigne du développement des pratiques juridiques et, plus largement, de l’institution étatique. C’est autour de cette hypothèse que s’organise le propos principal de la thèse : à l’appui d’une démarche dite « par les instruments », il est démontré que l’originalité de la planification environnementale réside dans sa capacité à être un objet de droit dynamique, qui accompagne les transformations de l’État, sur les plans tant juridique que territorial, démocratique et institutionnel. Sa singularité repose, en outre, sur le fait qu’elle s’inscrit dans un double mouvement : elle est à la fois un réceptacle de mutations juridiques et un laboratoire de transformations administratives.
Au prisme de l’évolution générale de la technique juridique, les mécanismes de la planification environnementale sont caractéristiques du droit de l’État « post-moderne » (Première Partie) : autant sa propension à incarner un moyen de direction alternative des conduites humaines (Titre 1) qu’à constituer un instrument d’adaptation territoriale de la norme – dans les collectivités de droit commun et dans les territoires à statut particulier – (Titre 2) sont des traits caractéristiques des mutations de la norme telles qu’elles s’observent à partir de la seconde moitié du XXème siècle. Replacée dans son contexte empirique, la planification environnementale se présente donc comme l’archétype – au sens de modèle idéal – du droit des politiques publiques : preuve des mutations profondes que subit la discipline juridique, elle demeure néanmoins largement déterminée par le droit moderne, dont elle conserve la structure fondamentale.
Un tel constat s’applique essentiellement à la capacité de l’objet d’étude à permettre une réglementation des comportements dans son sens le plus large. Mais la planification environnementale n’est pas seulement un instrument façonné pour l’action administrative externe ; à bien des égards, elle est également construite pour répondre à un certain nombre de besoins internes à l’administration prospective.
Or, c’est à l’aune de cette fonction de direction des conduites administratives qu’elle est la plus innovante – c’est-à-dire qu’elle démontre une aptitude à mettre en place des méthodes novatrices afin de résoudre des blocages institutionnels, nés de l’incompatibilité entre le fonctionnement sectorialisé de l’administration et la logique holistique que suppose la protection de l’environnement (Deuxième Partie). Ces procédés sont divers dans leur nature, et hétérogènes dans les effets qu’ils produisent : quand elle s’insère dans les circonscriptions administratives de droit commun, comme c’est le cas en matière de protection de l’air, la planification environnementale peut se concevoir comme un dispositif de collaboration entre les différentes institutions chargées de l’exercice prospectif. Elle va alors simplement faciliter la mise en place d’une gestion multilatérale du territoire (Titre 1). Dès lors qu’elle tend à s’appliquer dans des territoires dédiés à son exercice, elle revêt, plus ambitieusement, un potentiel créateur qui lui permet de véritablement faire fi des limites imposées par les découpages administratifs.
Tel est le cas de la planification qui s’épanouit dans les territoires dits écosystémiques, à l’image des circonscriptions de bassins dans le domaine de l’eau (Titre 2). Qu’ils soient marginaux ou substantiels, ces changements témoignent du potentiel de prototype – au sens de premier modèle – de la planification environnementale : parce qu’ils se placent à l’avant-garde des évolutions administratives, ils intègrent une marge d’erreur et présentent un certain nombre de dysfonctionnements qui tendent à fragiliser son efficacité.
En filigrane, cette inscription de la planification environnementale au cœur des évolutions du droit public – en ce qu’elle permet d’interroger l’état du droit positif avec des concepts fondamentaux tels que la contrainte, l’unilatéralité ou la participation, tout comme sa relation avec des notions connexes, telles que l’économie, l’urbanisme ou le territoire – donne des pistes pour l’amélioration de la documentation future. Il apparaît en effet que la réussite d’une politique prospective en matière d’environnement repose, de manière fondamentale, sur la combinaison de trois éléments : une meilleure coordination tant administrative que territoriale, un renforcement du potentiel contraignant de la documentation afférente et, enfin, une véritable volonté politique de provoquer des changements structurels – autrement dit, de questionner tant le modèle économique de croissance que le modèle constitutionnel de démocratie représentative.
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