Le pouvoir de régularisation du juge administratif en matière d'autorisation environnementale
Mémoire de fin de cycle rédigé par Louis Rigolot dans le cadre du Master II Droit de l'environnement, des territoires et des risques de l'Université de Strasbourg
Année universitaire 2022-2023, sous la direction de Monsieur Thomas Schelleberger, Maître de conférences en droit public à l'Université de Haute Alsace.
Fruit de l’analyse d’environ 500 décisions de justice et de deux études de cas, ce mémoire de recherche a été réalisé conjointement à un stage de cinq mois au tribunal administratif de Strasbourg. Ce travail porte sur le pouvoir de régularisation de l’autorisation environnementale que détient le juge administratif au titre de l’article L.181-18 du code de l’environnement. Ce nouvel office n’a été instauré que récemment, mais son utilisation par la juge s’est largement accrue depuis 2018, ce qui fait naître de nombreuses difficultés. En effet, la création du pouvoir de régularisation paraissait au départ tout à fait bénéfique pour le contentieux de l’autorisation environnementale, car elle permettait au juge de faire preuve de pragmatisme en évitant des annulations « inutiles » ou encore de renforcer la sécurité juridique des projets, néanmoins, son fort accroissement a fait naître des déséquilibres. Aujourd’hui, l’utilisation du pouvoir de régularisation est telle que l’ensemble du contentieux de l’autorisation environnementale s’en trouve déséquilibré au profit de la sécurité juridique et au détriment des autres droits et principes garantis par le droit de l’environnement.
En effet, l’utilisation du pouvoir de régularisation paraît aujourd’hui quasiment illimitée : régularisations en cascade, définition extensive des vices considérés comme régularisables, obligation pour le juge d’en faire usage… Cette application extensive de la régularisation de l’autorisation environnementale aboutit à la régularisation de vices qui ont pu avoir un impact réel sur l’environnement. Cela questionne nécessairement, car nous sommes loin de l’application qui était originellement faite de ce pouvoir et qui se limitait à régulariser certains vices qui n’avaient pas engendré d’atteinte effective à l’environnement avant d’arriver devant le juge. Aujourd’hui l’ensemble des vices entachant une autorisation environnementale semble pouvoir être régularisé devant le juge administratif.
De cette extension tant qualitative que quantitative de l’usage par le juge de son pouvoir de régularisation, découlent des conséquences importantes pour le respect effectif du droit de l’environnement et des droits des tiers. Effectivement, cela impacte tant l’égalité des parties à l’instance et le principe d’information, de participation et d’accès au juge en matière environnementale, que la protection préventive et effective de l’environnement. Cette évolution contrevient alors aux principes mêmes qui ont poussé à la création de cette autorisation environnementale et qui sont protégés par l’Union européenne comme le principe de prévention. Ainsi, l’utilisation actuelle qui est faite de ce pouvoir de régularisation porte atteinte au cœur même de l’autorisation environnementale, ce qui est regrettable. La protection préventive et effective de l’environnement, passant maintenant majoritairement par cette autorisation environnementale, semble par conséquent mise à mal par cette évolution. Néanmoins, en dépit du principe de non- régression, cette évolution d’origine jurisprudentielle vient d’être confirmée par le législateur dans sa loi sur l’accélération des énergies renouvelables de 2023.
Ces différents risques que représente l’usage extensif du pouvoir de régularisation se retrouvent déjà dans la pratique, comme en témoigne les deux études de cas approfondies dans ce mémoire. En mettant en évidence l’impact que ce pouvoir de régularisation a déjà aujourd’hui sur le contentieux de l’autorisation environnementale, par un déséquilibrage au profit de la sécurité juridique des projets et en dépit de la protection effective de l’environnement, on souhaitait souligner la nécessité, aujourd’hui, de venir modifier les contours de ce pouvoir afin que la protection préventive de l’environnement retrouve sa place légitime dans ce contentieux. Ce nouvel office étant récent, il est encore en cours de construction, une modification de ses conditions d’application semble en ce sens plus facilement envisageable. Plusieurs solutions apparaissent alors aujourd’hui tout à fait possibles à mettre en place afin de rééquilibrer ce contentieux dans le but que tant la protection effective de l’environnement, les droits du public et la sécurité juridique des projets soient garantis.
Pour cette étude nous nous sommes également basé sur les textes et la jurisprudence qui ont été développés au sujet du pouvoir de régularisation en matière d’urbanisme, qui est prévu à l’article L.600-5-1 du code de l’urbanisme et qui a été institué en 2013. Ce pouvoir étant plus ancien en matière d’urbanisme, la jurisprudence est plus développée, nous avons donc pu l’utiliser pour imaginer quelle sera la position du Conseil d’État en matière d’autorisation environnementale. Les conditions d’utilisation de ce pouvoir sont aujourd’hui semblables en matière d’urbanisme et d’autorisation environnementale, le premier ayant inspiré le second, mais leurs conséquences sont différentes. Une partie des solutions que nous proposons pour rééquilibrer le contentieux des autorisations environnementales sont alors basées sur ce qui a été développé en urbanisme. Ainsi, par ce mémoire, nous montrons également le lien existant entre urbanisme et environnement, lien qui est important à prendre en compte notamment en ce que les projets soumis à autorisation environnementale font souvent l’objet, en parallèle, d’un permis de construire. En définitive, malgré des différences certaines entre le contentieux du permis de construire et de l’autorisation environnementale (recours pour excès de pouvoir pour l’un et recours de plein contentieux pour l’autre, objet des autorisations….), les deux pouvoirs de régularisation sont aujourd’hui encadrés de manière similaire.