Le potentiel du contrat de fiducie dans les opérations d'aménagement (2022)

Le potentiel du contrat de fiducie dans les opérations d'aménagement

Mémoire d'apprentissage de fin de cycle rédigé par Quentin Guenver dans le cadre du Master II Droit administratif - Droit immobilier public de l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines
Année universitaire 2021-2022, sous la direction de Monsieur Stéphane Mansson, Professeur de Droit public.
Prix spécial
 

Si le couple « droit de l’environnement » et « droit de propriété » semble assez mal assorti (DUBARRY Julien, « Exploiter les ressources du droit des biens au service de l’environnement », EEI, 2022, n° hors-série, dossier 4), celui du temps long avec le temps d’une opération d’aménagement semble assez mal aisé.

Le contexte temporel d’un aménageur est double. Les grands fonciers disponibles aujourd’hui sont pour partie des friches industrielles issues d’un passé industriel. Or, l’exploitant ou le propriétaire a pu disparaître, ou n’a plus les capacités financières pour gérer sa dépollution. Dans le même temps, les mesures de compensation au titre de la séquence « éviter-réduire-compenser » (ERC) d’une opération d’aménagement devront être pérennes sur le temps long. Or, la temporalité d’un aménageur ou d’un promoteur immobilier ne peut coïncider avec cette gestion à long terme.

A cette difficulté temporelle s’ajoute une difficulté structurelle : une pluralité de parties prenantes, interagissant et contractualisant entre elles aux intérêts multiples. Le propriétaire d’un foncier industriel pollué souhaitant l’aliéner peinera à rassurer un acquéreur. Un aménageur bénéficiera rarement d’une maîtrise foncière totale et qui est par essence temporaire. Etat et établissements financiers, en cas de risque de pollution, seront attentifs aux garanties présentées par un acteur économique désireux de reconvertir de tels sites. Prenant acte de cet état de fait, le Législateur institua de nombreux outils participant de la contractualisation de l’aménagement, mais aussi du droit de l’environnement.

A une situation aussi complexe, ce mémoire s’est proposé de vulgariser un outil qui, certes n’a pas été pensé pour l’aménagement, mais pourrait en réalité répondre à un certain nombre de ses enjeux : la fiducie. L’article 2011 du Code civil la définit depuis 2007 comme « l'opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d'un ou plusieurs bénéficiaires ». Outre sa forme qui peut être contractuelle et son caractère translatif de propriété, l’intérêt de la fiducie réside aussi et surtout dans le caractère finalisé de ce transfert de propriété : il s’agit d’un réel « patrimoine d'affectation ». Enfin, sont identifiés d’office trois « rôles » : le constituant, dont l’initiative lui revient en tant que propriétaire de l’actif et du passif transférés ; le fiduciaire, qui se les verra transférer et devra les gérer et administrer conformément au contrat de fiducie ; le bénéficiaire, pouvant être le constituant ou le fiduciaire, ou non, et il y aura « entiercement ».

Or ces trois rôles contractuels et cette propriété affectée conviennent à plusieurs mécanismes intéressant une opération d’aménagement.

Un premier type de fiducie est susceptible d’intéresser ses acteurs, en ce qu’elle peut avoir pour objet de garantir un passif environnemental : la « fiducie-sûreté ». Elle aura l’avantage comparatif d’être une sûreté maximale, en ce qu’elle transfère le titre même de propriété, affectée exclusivement à cette garantie. Un vendeur peut tout d’abord garantir un terrain potentiellement pollué au moyen d’une fiducie, et sera constituant. Les fonds fiduciaires – placés entre les mains d’un établissement bancaire – pourront être appelés pour garantir un surcoût de dépollution à l’acquéreur, bénéficiaire de la fiducie. Egalement, une fiducie-sûreté pourrait être constituée par un tiers intéressé à la reprise en réhabilitation d’un site ayant accueilli une installation classée au titre du code de l’environnement (ICPE). La loi ALUR a en effet permis à des acteurs de se substituer aux derniers exploitants ou propriétaires de ces sites dans leur obligation de réhabilitation, à condition qu’ils constituent des garanties financières, pour couvrir le risque de leur propre défaillance à réhabiliter le site ou de leur disparition juridique. Ici, l’aménageur tiers intéressé constituerait une fiducie au profit de l’Etat, bénéficiaire, qui pourrait en mobiliser les fonds le cas échéant auprès par exemple de la Caisse des dépôts et consignation (CDC), fiduciaire, et ainsi économiser les deniers publics. La principale limite à ce raisonnement tient à ce que le Législateur voulut encadrer strictement la forme de ces garanties financières, en visant expressément la consignation. Or, l’étude de son régime et de la fiducie conduit en l’état du droit à exclure la fiducie comme garantie pouvant être présentée par un tiers-demandeur.

Dépassant la seule gestion du risque, la fiducie-gestion permettrait aussi d’organiser juridiquement le déroulement même d’une opération d’aménagement.

Deux obligations du code de l’environnement pourront informer le contrat de fiducie, qui sera alors qualifié de « fiducie-gestion ». La première est la prise en charge de l’obligation même de réhabilitation d’un site pollué par une ICPE au travers du mécanisme de tiers-demandeur évoqué ci-dessus. L’hypothèse classique fait intervenir le dernier exploitant – par ailleurs propriétaire du site – qui envisage la cessation d’activité de son ICPE. Constituant, il transfèrerait en fiducie son passif environnemental mais également de l’actif, par exemple les fonds consignés au titre de son exploitation. Celui-ci serait approché par des établissements de crédits ayant développé une activité de réhabilitation ou par la CDC, prêts à endosser le rôle de tiers-demandeur. Ils seront fiduciaires. Seraient bénéficiaires l’Etat – autorité de police spéciale des ICPE, mais également les tiers – demandeurs, qui vont se rémunérer sur la réhabilitation. En tant que propriétaires, ils pourront accorder des baux de longue durée, lancer un programme de vente en l’état futur d’achèvement, constituer des sûretés et ainsi garantir le prêt nécessaire à la dépollution, qui ne sera pas supportée par l’Etat. La limite propre à cette hypothèse est la suivante : en cas de défaillance du tiers-demandeur, la responsabilité administrative rejaillira sur le débiteur originel : l’ancien exploitant. Or, dans un tel cas de figure, le transfert fiduciaire – restant valable d’un point de vue civil – sera inopposable aux yeux de l’administration. Egalement, la qualité très règlementée de fiduciaire apparaît ici comme un réel obstacle. En effet, seuls les établissements bancaires, la CDC et les membres de l’avocature peuvent avoir la qualité de fiduciaires, à l’exception des professionnels de l’immobilier.

La seconde obligation environnementale pouvant se servir de la fiducie comme outil est la compensation écologique d’un opérateur immobilier, au titre de la séquence ERC. Dans le même contexte d’externalisation contractuelle de l’aménagement, la loi pour la reconquête de la biodiversité de 2016 a prévu la possibilité, pour un maître d’ouvrage, de contracter avec un opérateur de compensation. Dans ce cas de figure, cet opérateur sera le fiduciaire et bénéficiera des attributs de la propriété pour mener les actions de compensation écologique dont est débiteur un maître d’ouvrage au titre de son évaluation environnementale, notamment un aménageur/promoteur. Ce dernier sera le constituant. L’étude de la fiducie appliquée à cette hypothèse démontre que si l’exigence de pérennité – et non d’éternité – de ces mesures de compensation peut être garantie, se posera la question du devenir de ce patrimoine fiduciaire une fois les objectifs assignés à la compensation atteints. En effet, la fin du contrat de fiducie entraîne en principe le transfert du patrimoine fiduciaire au bénéficiaire, et à défaut au constituant. L’affectation de ce patrimoine ne sera plus garantie et les parties auront intérêt à avoir anticipé cette échéance à plus long terme.

Ainsi, et sous réserve d’un assouplissement législatif, la fiducie pourrait être à l’avenir un outil réconciliant les différentes temporalités de l’aménagement, voir le droit de propriété et le droit de l’environnement, en ce que la fiducie permet de mettre à profit les attraits de la propriété à un but environnemental.

 
 
 

 

Catégorie: 
PLUS D'EVENEMENTS + CONTACTEZ-NOUS +